Activité physique chez la femme enceinte – Parlons des douleurs lombo-pelviennes

Activité physique prénatale et recommandations

La pratique régulière d’activités physiques (AP) est connue pour être favorable à la santé physique, mentale et émotionnelle, et ce à tous les cycles de la vie. Selon plusieurs études, il est notamment important pour les femmes d’être actives pendant leur grossesse. En effet, la pratique régulière de l’AP lors de cette période de la vie apporte des bienfaits non seulement sur la santé de la mère, mais aussi sur celle de son futur enfant. Le maintien ou l’amélioration de la condition physique (1), ainsi que la diminution du risque de gain de poids excessif (2), du diabète gestationnel (3) et de pré éclampsie (4) sont tous des bienfaits connus de la pratique régulière de l’activité physique prénatale. La croissance et le développement du fœtus sont aussi positivement influencés par la pratique de l’AP maternelle (5). Les directives cliniques canadiennes sur l’exercice durant la grossesse (6, 7) recommandent, en l’absence de contre-indications ou de complications obstétricales, une pratique régulière d’exercices cardiovasculaires et musculaires. Pour ce qui est des exercices cardiovasculaires, il est recommandé aux femmes enceintes de les pratiquer à une intensité modérée (équivalent à un score sur l’échelle de Borg entre 12 et 14 sur 20), pendant 15 à 30 minutes, et ce, trois à quatre fois par semaine. Il est également fortement conseillé de faire deux séances de musculation, trois fois par semaine, pendant 20 à 30 minutes (1). Toutefois, malgré les nombreux bienfaits reconnus de l’AP prénatale et l’existence de directives en matière d’AP durant la grossesse, la majorité des femmes enceintes ne respectent les recommandations (8). De plus, plusieurs auteurs ont rapporté que les femmes enceintes, même celles qui étaient actives avant le début de leur grossesse, diminuent leur niveau d’AP au fil des trimestres de grossesse (9-11). En tant que kinésiologue, il est important de comprendre les raisons qui poussent les femmes enceintes à la sédentarité, afin de mettre en place des mesures visant à favoriser le maintien d’une pratique régulière de l’AP durant la grossesse et par conséquent améliorer leur santé et celle de leur futur enfant. Plusieurs barrières à la pratique de l’AP durant la grossesse sont évoquées par les femmes enceintes, telles que la fatigue, le stress/anxiété, l’essoufflement, un manque de motivation et de temps, la peur de nuire à la santé de leur bébé, mais aussi la présence de troubles musculosquelettiques (12), notamment les douleurs lombo-pelviennes (DLP).

Douleurs lombo-pelviennes durant la grossesse

Les DLP sont des douleurs fréquemment rapportées par les femmes enceintes. Selon le guide européen de diagnostic et de traitements des DLP, celles-ci peuvent toucher plus de 75% des femmes enceintes (13). Ces douleurs sont habituellement ressenties au niveau de la symphyse pubienne, des crêtes iliaques postérieures jusqu’au niveau des plis fessiers et touchent plus particulièrement la région des articulations sacro-iliaques (figure 1). Ces douleurs apparaissant généralement entre la 18e et la 36e semaine de grossesse (13).

Figure 1 : Schéma de localisation des douleurs lombo-pelviennes.

Malgré la fréquence élevée de ces douleurs, leur étiologie est encore mal connue. Les différents changements liés à la grossesse (hormonaux, anatomiques, biomécaniques, posturaux, ou encore comportementaux), mais aussi les antécédents pré-grossesses de lombalgie et des niveaux de stress et d’anxiété élevés, font partie des causes possibles de ces douleurs (14, 15). La plupart des femmes enceintes qui se plaignent de DLP rapportent que celles-ci affectent leurs activités de la vie quotidienne (AVQ) entraînant, entre autres, une diminution de leur pratique d’AP (16). Dans les dernières années, plusieurs essais cliniques contrôlés randomisés (17-20) ont permis d’étudier l’effet d’un programme d’exercices réguliers sur la prévalence et l’intensité des DLP chez les femmes enceintes. Les études dont l’intervention était basée sur des exercices cardiovasculaires ou musculaires généraux (17, 18, 20) n’ont rapporté aucun effet bénéfique de l’activité physique sur la prévalence des DLP. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que les modalités d’entraînement n’étaient pas adéquates et le programme d’exercices n’était pas assez spécifique pour traiter les DLP. Toutefois, les études dont l’intervention était basée sur des exercices spécifiques permettant, entre autres, le renforcement des muscles du plancher pelvien et l’activation des muscles abdominaux et dorsaux ont rapporté une diminution de la prévalence et/ou de la sévérité des DLP (19, 21). Il est donc important pour le kinésiologue, dont un des rôles est de promouvoir la santé par la pratique régulière de l’AP, de prendre en charge efficacement les femmes enceintes aux prises avec des DLP. Grâce à une prescription d’exercices adaptés, il sera possible de diminuer leurs douleurs et ainsi leur permettre de maintenir un mode de vie actif pendant la grossesse et après l’accouchement.

En pratique, que peut-on faire ?

Après s’être assuré de l’absence de contre-indication à l’exercice (7), le kinésiologue devra recueillir lors de son anamnèse, une série d’informations, afin d’identifier les causes possibles des DLP de sa cliente. Il est essentiel pour le kinésiologue de connaître la localisation des DLP, leur évolution, leur intensité, ainsi que de savoir si ces douleurs ont des conséquences plus ou moins importantes sur les AVQ. Ces informations permettront au kinésiologue d’élaborer son plan d’intervention et de prescrire des exercices adaptés et efficaces. Plusieurs outils sont à la disposition du kinésiologue pour localiser les DLP et évaluer leur intensité, ainsi que leurs impacts sur les AVQ : une image, telle que celle présentée à la figure 1, permettra de localiser les DLP ; l’Échelle Visuelle Analogique permettra d’évaluer, à l’aide d’une réglette graduée, l’intensité de la douleur sur une échelle de 0 à 10 et le Pelvic Girdle Questionnaire (PGQ) (22) permettra d’évaluer les limitations fonctionnelles, ainsi que les impacts des DLP sur les AVQ. Pour être efficace, le programme d’entraînement devrait inclure des exercices de stabilisation des articulations sacro-iliaques, des exercices d’activation des muscles lombaires profonds et des muscles pelviens (19, 21, 23). Ces exercices permettront d’améliorer la mobilité articulaire, la force et progressivement l’endurance des muscles (23). Il est conseillé aux femmes enceintes de pratiquer en moyenne, trois séances de ces exercices, et ce trois fois par semaine. Aussi, l’enseignement de contractions soutenues du plancher pelvien pourrait augmenter la stabilité et l’endurance de la région lombo-pelvienne (24). Finalement, il sera important que le kinésiologue insiste sur le maintien d’une bonne posture, notamment sur un alignement neutre du pelvis, afin de limiter la lordose lombaire. Le kinésiologue devra aussi adapter les exercices en fonction du stade de la grossesse pour éviter les inconforts reliés à l’augmentation de la taille de l’abdomen et il devra également modifier ceux effectués sur le dos, et ce dès le 4e mois de grossesse, puisque cette posture peut comprimer la veine cave inférieure et donc diminuer l’apport sanguin au fœtus.

Les exercices dont le poids du corps n’est pas supporté (marche, course à pied) sont déconseillés, car ils peuvent augmenter la charge sur les articulations de la ceinture lombo-pelvienne, ainsi que sur les membres inférieurs. Ce type d’exercice pourrait, entre autres, engendrer le développement ou l’aggravation des DLP (25). Les exercices supportés (vélo stationnaire) ou les exercices dans l’eau sont à privilégier puisqu’ils réduisent les contraintes mécaniques sur les structures anatomiques de la ceinture pelvienne déjà sollicitées par le déplacement antérieur du centre de masse et la prise de poids rapide pendant la grossesse.[/p]

Conclusion

Les DLP font partie des inconforts liés à la grossesse. Toutefois, la pratique d’exercices spécifiques peut prévenir et/ou soulager ces douleurs. Les professionnels de la santé qui interviennent auprès des femmes enceintes, plus particulièrement les kinésiologues, ont donc un rôle important à jouer dans la prévention et le traitement de ces douleurs par l’exercice.

Remerciements

Émeline Lemmer, étudiante à la maîtrise en sciences du sport et de l’éducation physique à l’UQTR, a obtenu une bourse de maîtrise de la Fondation de recherche chiropratique du Québec.

Références

  1. Kino-Québec. Active pour la vie. L’activité physique pendant et après la grossesse. Québec 2014
  2. Muktabhant B, Lawrie TA, Lumbiganon P, Laopaiboon M. Diet or exercise, or both, for preventing excessive weight gain in pregnancy. The Cochrane Library. 2015.
  3. Russo LM, Nobles C, Ertel KA, Chasan-Taber L, Whitcomb BW. Physical activity interventions in pregnancy and risk of gestational diabetes mellitus: a systematic review and meta-analysis. Obstetrics & Gynecology. 2015;125(3):576-82.
  4. Hegaard HK, Pedersen BK, Bruun Nielsen B, Damm P. Leisure time physical activity during pregnancy and impact on gestational diabetes mellitus, pre-eclampsia, preterm delivery and birth weight: a review. Acta obstetricia et gynecologica Scandinavica. 2007;86(11):1290-6.
  5. Wiebe HW, Boulé NG, Chari R, Davenport MH. The effect of supervised prenatal exercise on fetal growth: a meta-analysis. Obstetrics & Gynecology. 2015;125(5):1185-94.
  6. Davies GA, Wolfe LA, Mottola MF, MacKinnon C. Joint SOGC/CSEP clinical practice guideline: exercise in pregnancy and the postpartum period. Canadian Journal of Applied Physiology. 2003;28(3):329-41.
  7. SCEP. X-AAP pour les femmes enceintes.. 2015.
  8. StatistiqueCanada. Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes. In: Québec Indspd, editor. 2007-2008.
  9. Evenson KR, Wen F. Prevalence and correlates of objectively measured physical activity and sedentary behavior among US pregnant women. Preventive medicine. 2011;53(1):39-43.
  10. Nascimento SL, Surita FG, Godoy AC, Kasawara KT, Morais SS. Physical activity patterns and factors related to exercise during pregnancy: a cross sectional study. PloS one. 2015;10(6):e0128953.
  11. Hegaard HK, Damm P, Hedegaard M, Henriksen TB, Ottesen B, Dykes A-K, et al. Sports and leisure time physical activity during pregnancy in nulliparous women. Maternal and child health journal. 2011;15(6):806-13.
  12. Evenson KR, Moos M-K, Carrier K, Siega-Riz AM. Perceived barriers to physical activity among pregnant women. Maternal and child health journal. 2009;13(3):364-75.
  13. Vleeming A, Albert HB, Östgaard HC, Sturesson B, Stuge B. European guidelines for the diagnosis and treatment of pelvic girdle pain. European Spine Journal. 2008;17(6):794-819.
  14. Kovacs FM, Garcia E, Royuela A, González L, Abraira V, Network SBPR. Prevalence and factors associated with low back pain and pelvic girdle pain during pregnancy: a multicenter study conducted in the Spanish National Health Service. Spine. 2012;37(17):1516-33.
  15. Sabino J, Grauer JN. Pregnancy and low back pain. Current reviews in musculoskeletal medicine. 2008;1(2):137-41.
  16. Owe KM, Nystad W, Bø K. Correlates of regular exercise during pregnancy: the Norwegian Mother and Child Cohort Study. Scandinavian journal of medicine & science in sports. 2009;19(5):637-45.
  17. Eggen MH, Stuge B, Mowinckel P, Jensen KS, Hagen KB. Can supervised group exercises including ergonomic advice reduce the prevalence and severity of low back pain and pelvic girdle pain in pregnancy? A randomized controlled trial. Physical therapy. 2012;92(6):781-90.
  18. Haakstad LA, Bø K. Effect of a regular exercise programme on pelvic girdle and low back pain in previously inactive pregnant women: a randomized controlled trial. Journal of rehabilitation medicine. 2015;47(3):229-34.
  19. Mørkved S, Åsmund Salvesen K, Schei B, Lydersen S, Bø K. Does group training during pregnancy prevent lumbopelvic pain? A randomized clinical trial. Acta obstetricia et gynecologica Scandinavica. 2007;86(3):276-82.
  20. Stafne SN, Salvesen KÅ, Romundstad PR, Stuge B, Mørkved S. Does regular exercise during pregnancy influence lumbopelvic pain? A randomized controlled trial. Acta obstetricia et gynecologica Scandinavica. 2012;91(5):552-9.
  21. Garshasbi A, Zadeh SF. The effect of exercise on the intensity of low back pain in pregnant women. International Journal of Gynecology & Obstetrics. 2005;88(3):271-5.
  22. Stuge B, Garratt A, Jenssen HK, Grotle M. The pelvic girdle questionnaire: a condition-specific instrument for assessing activity limitations and symptoms in people with pelvic girdle pain. Physical therapy. 2011;91(7):1096-108.
  23. Elden H, Ladfors L, Olsen MF, Ostgaard H-C, Hagberg H. Effects of acupuncture and stabilising exercises as adjunct to standard treatment in pregnant women with pelvic girdle pain: randomised single blind controlled trial. Bmj. 2005;330(7494):761.
  24. Boyling JD, Grieve GP, Jull G, Jull GA. Grieve’s modern manual therapy: The Vertebral Column: Churchill Livingstone; 2004.
  25. Norén L, Östgaard S, Johansson G, Östgaard HC. Lumbar back and posterior pelvic pain during pregnancy: a 3-year follow-up. European spine journal. 2002;11(3):267-71.
Par Audrey St-Laurent, Émeline Lemmer, Martin Descarreaux, Stephanie-May Ruchat
3 octobre 2017
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